L’affrontement des romains et des perses
Au début du VIIème siècle, l’esprit apocalyptique est porté à l’extrême dans l’opposition entre l’empire byzantin et l’empire perse, qui utilisaient des alliés fluctuants juifs, bédouins, chrétiens de divers obédiences : nestoriens, monophysites, judéos-chrétiens (nazaréens), arabes christianisés, …
En 614 Le traumatisme du sac de Jérusalem et de la prise de la Vraie Croix par l’Empire sassanide a jeté le monde chrétien dans les ténèbres. C’était l’axe qui orientait les Ecritures. Beaucoup de Chrétiens relisent l’Apocalypse et identifient les signes des temps dans le Livre saint. L’ambiance de chaos couve et produit un messager de l’Apocalypse, annonçant l’imminence de l’Heure.
Dans les premières sourates de son livre, selon l’ordre chronologique, il est question de jugement dernier, du jour de la résurrection, et de rappel des grands principes : prière, aumône, croyance en Allah. C’est indiscutablement le texte d’une communauté messianique et les emprunts lexicologiques, théologiques, rhétoriques, thématiques mêlant les matériaux judaïsant et Chrétiens sont pléthore, un texte polémique qui s’inscrit dans un contexte d’hérésies chrétiennes, qui reprend, résume, recompose tout le matériau religieux syriaque de l’époque et le reformule. C’est une tentative de syncrétisme et d’unification de toutes les hérésies chrétiennes en les mêlant de gnose et de judaïsme ; cependant le Coran confère une vigueur inouïe à ces textes et cherche à les accomplir en leur donnant un exutoire messianique et armé, identifiant tour à tour le héros principal, Mohamed, à des figures bibliques, Moïse, Abraham, Jésus, Juddas Macchabée, et reprochant aux « peuples du livre » de ne pas avoir réalisé les promesses de la Torah et l’Evangile. C’est un texte eschatologique qui s’inscrit dans un contexte d’attente de fin du monde, qui ne se comprend que dans une ambiance de carnage et de guerre nations contre nations. Des fragments d’Isaïe, d’Elie, de Daniel, d’Enoch, d’Esdras et surtout de Judas Macchabée affleurent sans cesse et justifient une épopée militaire.
Nous sommes ici dans une vision de l’histoire qui accomplit les récits bibliques de l’exode de Moïse et de Judas Macchabée en vue de conquérir la terre promise, restaurer le Temple et permettre le retour du messie et l’accomplissement de la prophétie de Zacharie (14:1-5) : « Le jour de l’Eternel arrive, et tes dépouilles seront partagées au milieu de toi. Je rassemblerai toutes les nations pour qu’elles attaquent Jérusalem ; la ville sera prise, les maisons seront pillées, et les femmes violées ; La moitié de la ville ira en captivité, Mais le reste du peuple ne sera pas exterminé de la ville. L’Eternel paraîtra, et il combattra ces nations, comme il combat au jour de la bataille. Ses pieds se poseront en ce jour sur la montagne des oliviers, qui est vis-à-vis de Jérusalem, du côté de l’orient ; la montagne des oliviers se fendra par le milieu, à l’orient et à l’occident, et il se formera une très grande vallée. Et l’Eternel, mon Dieu, viendra, et tous ses saints avec lui » (d’après Leila Qadr – les 3 visages du coran I)
Les premières conquêtes arabes contre les byzantins
L’auteur du Coran s’identifie au chef de l’expédition sarrasine qui se joignit à une coalition judéo-perse, aboutissant à cette conquête de Jérusalem de 614. L’auteur a, tel Josué, conduit les enfants d’Ismaël à la guerre sainte (djihâd) pour la conquête de Jérusalem et le relèvement de la « Maison » (bayt), afin d’y rétablir les assises (al qawaïda) du temple, d’y accomplir « pèlerinage » (haj), et de restaurer le « Royaume » de «l’Élohîm ». Pour les enfants d’Agar, la servante, et de son fils Ismaël, voici venue l’heure de la revanche contre les chrétiens « associateurs » impies qui, contrairement aux nazaréens, croient à plusieurs dieux (Dieu le père, Marie la mère et Issa le fils) ! Et tuez-les, où que vous les rencontriez; et chassez-les d’où ils vous ont chassés : l’association est plus grave que le meurtre. … Et combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’association et que la religion soit entièrement à Allah seul. (2 :191-193)
Mais la ville a été remise par les perses aux juifs rabbanites.
Suite à la reconquête sur les perses par Héraclius vers 621, les nazaréens, arabes et juifs, émigrent de Syrie en 622 vers Yatrib, ville de la tribu des ansars. Ils prennent alors le nom d’émigrés (mahgrayé en syrien, qui deviendra plus tard muhajirum en arabe). On remarque d’ailleurs tout un ensemble de noms de la racine ansar en Syrie. La chronique de Sébéos (660) raconte la prédication de Mohamed: « ils (les juifs rabbanites émigré depuis Edesse en 625) partirent dans le désert et vinrent en Arabie chez les enfants d’Ismaël. Ils les appelèrent à leur secours et leur firent savoir qu’ils étaient parents, d’après la Bible. Bien que les ismaélites fussent prêts à accepter cette proximité de parenté, les juifs ne purent néanmoins convaincre la masse des gens parce que leurs cultes étaient différents.
En ce temps-là, il y avait un ismaélite appelé Mahmet, un négociant. Il se présenta lui-même à eux comme sur ordre de Dieu, comme un prédicateur, comme le chemin de la vérité, et leur apprit à connaitre le dieu d’Abraham car il était très bien instruit et à l’aise avec l’histoire de Moïse. Comme l’ordre venait d’en-haut, ils s’unirent tous sous l’autorité d’un seul homme, sous une seule loi, et, abandonnant de vains cultes, revinrent au Dieu vivant qui s’était révélé à leur père Abraham. Mahmet leur interdit de manger de la viande d’aucun animal mort, de boire du vin, de mentir ou de forniquer.
Il ajouta : Dans un serment, Dieu a promis ce pays à Abraham et à sa postérité après lui à jamais ; il agissait selon sa promesse quand il aimait Israël. Maintenant vous, vous êtes les fils d’Abraham et Dieu réalise en vous la promesse faite à Abraham et à sa postérité. Aimez seulement le Dieu d’Abraham, allez vous emparer de votre territoire que Dieu a donné à votre père Abraham, et personne ne pourra vous résister dans le combat, car Dieu est avec vous ». La chronique de l’évêque Jacques d’Edesse dit qu’il annonce la venue du messie (la 1ère venue pour les juifs orthodoxes, son retour pour les nazaréens et les chrétiens).
Les nazaréens s’attachent donc à convertir les tribus du nord et du centre de l’Arabie, et le fait de se rattacher à Abraham permet d’unir juifs et arabes dans le même héritage du peuple élu. En 629, à la bataille de Muta, Mohamed tente de reprendre Jérusalem en passant par l’est du Jourdain, car il s’agit bien de prendre possession de la Palestine, la terre que dieu a donné en héritage aux pieux. Les romains et leurs alliés arabes ghassanides repoussent l’attaque (les versets 30 :2-4 sont incohérents : les croyants se réjouiront de la victoire romaine ? non, il faut traduire que les romains ont été vainqueurs mais seront vaincus et alors les croyants se réjouiront). D’après la tradition musulmane, il meurt en 632, après une tentative d’empoisonnement, et est enterré à Médine, mais certains textes le font apparaitre jusqu’en 634.
Hoyland explique que « L’affrontement entre les perses et les romains entre dans le cadre de ce qui était annoncé à propos de la guerre de Gog et Magogg, et la domination des romains sur le monde, n’étant que pour un court instant, était reconnu nécessaire pour la venue du messie fils de David. (Talmud, Yoma :l0a) Quand l’empereur Heraclius décréta obligatoire le baptême des juifs, il devint évident que l’affrontement final entre les ennemis du royaume de dieu et la nation d’Israël était imminent. Ainsi alors que les chrétiens regardaient l’invasion des arabes comme un châtiment de dieu, les juifs le virent comme un instrument de leur délivrance. La défaite des perses puis des romains n’a été possible que parceque « Dieu a donné la victoire aux musulmans » (John Penkaye) « la victoire des fils d’Ismaël qui ont vaincu et mis en esclavage ces deux empires puissants vient de dieu » (Chronique du Khuzistan), les arabes sont « le glaive de dieu » (Fredegar), ils ont été appelé par lui « pour être un châtiment où ils ne trouveront nulle pitié » (ps.-Methodius) à cause de la violation du premier commandement, l’interdiction de l’idolâtrie, dans laquelle les chrétiens étaient tombés en adorant des icones. Et pour les enfants d’Ismaël, ce n’est pas parceque dieu les aimait qu’il leur a donné la victoire mais à cause de la mechanceté et des péchés commis par les chrétiens » (Ps.-Methodius, Apocalypse, 9 :5.) »
Les juifs, subissant une campagne massive de baptême vers 620, voient ces arabes comme des libérateurs du joug romain. Ainsi on lit dans « Les secrets de rabbi Simon ben Yohai » : « Le béni envoya le royaume d’Ismaël pour nous délivrer d’Edom, il va conquérir la terre et une grande crainte entre eux et les fils d’Esaü se lève. N’est-ce pas notre salut que vit le prophète Isaïe (Isaie 21 :7)lorsqu’il vit un chariot avec deux cavaliers. Ce chariot doit-il être tiré par des chameaux ou des ânes comme celui du messie ? »
L’une des premières victoires remportées contre les romains, qui abandonnent alors Jérusalem, est racontée par deux chroniqueurs contemporains : Thomas le presbytre, écrivant en 640 la Chronica minora : En l’année 945, indiction VII [634] le vendredi 4 shebat, à 9 heures, eut lieu le combat des romains et des tayayé de Mohamed en Palestine, à 12 milles à l’est de Gaza. Les romains s’enfuirent, abandonnant le patrice Bar Yardan que les tayayé tuèrent. Furent tués là environ 4000 paysans pauvres de Palestine, chrétiens, juifs et samaritains. Et les tayayé dévastèrent toute la région. (chronica minora 2-III – cité par A.L. de Prémare dans les fondations de l’islam)
Et la Doctrina jacobi, une chronique syriaque écrite en grec entre 634 et 640, décrit le même événement : Mon frère Abraamès m’a écrit, dit Ioustos à Jacob, qu’un faux prophète est apparu. « Lorsque le candidat [lieutenant de la garde byzantine – le patrice Sergios] fut tué par les saracènes, j’étais à Césarée – me dit Abraamès-, et j’allai en bateau à Sykamina. On disait : le candidat a été tué ! et nous, les juifs, nous étions dans une grande joie. On disait que le prophète était apparu, venant avec les saracènes, et qu’il proclamait l’arrivée du christ oint qui allait venir. Et moi, étant arrivé à Sykamina, je m’arrêtai chez un ancien très versé dans l’écriture et je lui dis : Que me dis-tu du prophète qui est apparu avec les saracènes ? Et il me répond en gémissant profondément : C’est un faux prophète : les prophètes viennent-ils armés de pied en cap ? Mais toi, seigneur Abraamès, va et renseigne-toi sur ce prophète qui est apparu. Et moi, Abraamès, ayant poussé l’enquête, j’appris de ceux qui l’avaient rencontré qu’on ne trouve rien d’authentique dans ce prétendu prophète : il n’est question que de massacre. Il dit aussi qu’il détient les clés du paradis, ce qui est incroyable. » Voila ce que m’a écrit mon frère Abraamès d’orient. (cité par A.L. de Prémare dans les fondations de l’islam)
Thomas le presbytre raconte ainsi les attaques contre les perses : Sous Yazdagird [632-651] commença la fin du règne des perses. Dieu envoya contre eux l’assaut des fils d’Ismaël, lesquels étaient aussi nombreux que les sables au bord de la mer. Celui qui les dirigeait était Muhammed. (Chronica minora II,30)
Bukhari et Muslim citent encore cette proclamation de Mohamed, conforme aux espérances nazaréennes de retour du messie après la reconquête de Jérusalem et l’ébauche de reconstruction du temple : « Par celui qui tient mon âme en sa main, la descente de Jésus, fils de Marie, est imminente. »
Le rabbin Eléazar Qilir [[1]], contemporain, ajoute que le messie de guerre, ayant reconquis Jérusalem, commença à reconstruire le temple et a été assassiné trois mois après.
Ainsi, d’après ces textes non islamiques, Mohamed ne serait pas mort en 632, mais en 634, et le califat d’Abu Bakr de 632 à 634 serait alors une fiction utilisée pour combler la période en masquant cet assassinat et le repli qui a suivi, jusqu’à l’occupation définitive de Jérusalem par Omar en 638.
Un texte, datant de 750, les « secrets de Rabbi ben Yohay » raconte l’entrée d’Omar à Jérusalem et parle de lui en tant que 2ème roi, donc en passant sous silence Abu Bakr : « Le deuxième roi qui se lève en Ismaël (Omar) réparera les brèches du Temple. »
A cette époque, juifs et arabes étaient encore alliés. Ni la charte de Médine, ni les rabbins juifs ne parlent de tribu juive rabbinique à Yatrib. D’ailleurs, la chronique de Sébéos qui raconte l’arrivée des juifs d’Edesse à Yatrib dit qu’ils y trouvent des juifs ayant « un culte différent » et qu’ils s’y convertissent. Ils se font nazaréens. Les controverses et attaques contre les juifs de Médine sont des ajouts tardifs pour faire justifier, à posteriori, par le prophète une extermination plus tardive des juifs nazaréens, après la rupture qui a donné naissance à l’islam.
Suite : l’hegire
[1] Gilbert Dagron, Entre histoire et apocalypse
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