Compilations de fatwas (décisions de justice) concernant les Chrétiens et les Juifs (dhimmi) en Espagne, d’après le livre de Vincent Lagardère.
Cordoue IXe siècle. Abû Ibrâhîm Ishâq b. Ibrâhîm.
« Une Chrétienne est déférée au cadi. Née d’un Musulman et d’une Chrétienne qui l’a élevée après la mort du père, elle a épousé un Chrétien dont elle a eu un enfant, il y a vingt ans ou davantage. Interrogée par ce magistrat elle a répondu que son père Chrétien a embrassé l’Islam et qu’après sa mort elle est restée auprès de sa mère et demeurée Chrétienne. La conversion de son père, un mercenaire s’est produite en un lieu autre que celui où elle a vécu. Les voisins affirment que ce Chrétien ayant embrassé l’Islam est mort alors que sa fille n’était pas encore nubile.
Réponse. Elle doit être considérée comme Musulmane en tant que fille de Musulman à moins qu’elle ne produise une preuve testimoniale établissant le contraire. On l’y contraindra mais sans lui infliger la peine que mérite une renégate. » (pp. 53-54)
Cordoue IX-Xe siècles. Ibn Lubâba.
« Le conseil des juristes de Cordoue, consulté, approuve la démolition d’une synagogue récemment édifiée à Cordoue. Les tributaires, Juifs et Chrétiens, ne peuvent édifier d’églises ni de synagogues dans les villes musulmanes au milieu des Musulmans. […] » (p. 55)
Cordoue Xe siècle. Ibn Zarb.
« Un jeune Juif de huit ans qui s’est converti ne sera pas retiré à la garde de sa mère et de son père. Une fois adulte, il sera invité à confirmer sa foi et en cas de refus on l’y contraindra par les coups. » (p. 58)
Kairouan IXe siècle. Anonyme et Ibn Abî Tâlib.
« Un Juif s’habille comme les Musulmans et abandonne la mise qui le distingue d’eux.
Réponse. Il sera mis en prison, battu et promené ignominieusement dans les lieux habités par les Juifs et les Chrétiens pour l’exemple. Ibn Abî Tâlib a prescrit à l’un des cadis parmi ses subordonnés d’obliger Juifs et Chrétiens à porter leurs ceintures largement déployées sur leur robe pour qu’on les distingue bien, et si l’un d’eux monte à cheval, de l’en empêcher, de lui infliger vingt coups de fouet à nu, puis de le jeter en prison, et en cas de récidive de le battre durement et de l’incarcérer longuement. » (p. 111)
Kairouan Xe-XIe siècles. Al-Qâbisî.
« Un Musulman a un voisin juif qui a été élevé au milieu des Musulmans. Ils se rendent des services et quand ils se rencontrent sur un chemin contigu, ils échangent des propos et sourient. Cet homme déclare : « Allâh connaît ma haine des Juifs, mais j’ai un doux caractère ». Que penser de sa conduite ? Quand les Juifs vous saluent, comment faut-il leur répondre ?
Réponse. Il vaut mieux ne pas fréquenter les gens qui n’ont pas ta religion. Tu peux rendre service à un voisin tributaire et lui parler avec gentillesse, mais sans déférence. S’il te salue en disant « Que le salut soit sur toi », réponds-lui « sur toi » sans rien ajouter et tu n’as pas besoin de ses nouvelles ni de celles de sa maisonnée. Conduis-toi envers lui comme on doit le faire envers un voisin, mais avec une certaine réserve. » (p. 464).
Fès XIVe-XVe siècles. Isâ b. Allâl Al-Kutâmî Al-Masmûdî (cadi de Fès, v. 1420).
« Si un seul tributaire nuit aux Musulmans tous les autres perdent toute protection ; leurs biens sont pris et assimilés au butin soumis au quint ; les biens de provenance inconnue reviennent au trésor public dont l’inspecteur s’occupera. » (p. 47).
Cordoue IXe siècle. Yahyâ b. Yahyâ.
« La nuit du premier janvier julien que les gens appellent la nativité (de Jésus) est célébrée comme l’une de leurs fêtes ; ils échangent des mets et des cadeaux ; hommes et femmes chôment depuis le matin pour honorer ce jour qu’ils appellent le 1er de l’an.
Réponse. Tout cela est contraire à la loi religieuse. D’après Yahyâ b. Yahyâ, il n’est pas permis de recevoir à l’occasion de la nativité (de Jésus) des cadeaux d’un Chrétien ou d’un Musulman, ni d’accepter une invitation … » (p. 476)
Cordoue XIe-XIIe siècles. Ibn al-Hâgg.
« Il ne faut pas aider les Chrétiens à célébrer leurs fêtes, notamment en leur louant des bêtes de sommes. » (p. 66)
Grenade XVe siècle. Al-Qâdî Abû ‘Abd Allâh b. Al-Azraq.
« Quid des Juifs qui, à l’occasion d’une de leurs fêtes qu’ils appellent la Pâque, font des galettes qu’ils offrent à certains de leurs voisins musulmans ? ces derniers peuvent-ils les accepter et les consommer ?
Réponse négative contenant plusieurs citations (Ibn Rusd, Ibn ‘Arafa, Ibn al-Hagg). Ibn ‘Arafa allègue l’opinion d’Abû l-Hasan al-Qâbisî interdisant d’accepter les cadeaux des Chrétiens et des Juifs à l’occasion de leurs fêtes ; il déplore que des Musulmans incultes acceptent les cadeaux des Juifs lors de la Pâque. » (p. 482)
Cordoue IXe siècle. Yahyâ b. Yahyâ.
« La maison de tout marchand de vin doit être brûlée. » (p. 52)
Cordoue IXe siècle. Ibn Habîb.
« Un homme laisse un silo ouvert et un porc y tombe et meurt. Peut-on vendre le blé qu’il renferme à un Chrétien ?
Réponse. On ne peut le vendre ni à un Chrétien ni à un Musulman. Son propriétaire ne doit ni le semer ni en tirer profit et il lui faut empêcher que les Chrétiens n’en profitent. »
(p. 168).
Cordoue IXe siècle. Ibn Muzayn.
« A un Musulman qui a acheté un vêtement chrétien on dit de ne pas faire la Prière en l’ayant sur lui. Il répond ne pas avoir eu connaissance de cet interdit.
Réponse. S’il n’a pas eu connaissance du fait que ce vêtement était chrétien ou qu’un Chrétien l’avait touché, son ignorance n’entraîne pas qu’il doive le rendre au vendeur, tout comme il est tenu de garder un esclave présentant un vice qu’il déclare avoir ignoré avant l’achat. »
(p. 168).
Espagne XIVe siècle. Abû Abd allâh Muhammad al-Haffâr (maître andalou de Muhammad b. Marzûq).
« Un Juif tributaire excipe à l’encontre d’un Musulman, de trois titres l’un vieux de quinze ans et les deux autres de onze. Il lui réclame un reliquat, dont il prétend être créancier, de chacun de ces trois engagements. Le Musulman soutient qu’il s’en est totalement acquitté. Doit-on admettre sa déclaration, lui faire prêter serment et le tenir quitte vu la longueur du laps de temps écoulé ou, au contraire, ne tenir compte que de son dire s’il produit une preuve testimoniale ?
Réponse. Les Juifs ont l’habitude de considérer comme licite de gruger les Musulmans. On ne laisse généralement pas son bien pendant longtemps entre les mains d’un autre, à plus forte raison quand il s’agit d’un Infidèle ayant affaire à un Musulman. Les juristes estiment que les règles du droit sont retournées contre tout prévaricateur et injuste notoire. Aussi, celui qui revendique un droit à l’encontre d’un homme de cette espèce n’a qu’à prêter serment pour obtenir satisfaction. Dans le cas présent on suit la règle inverse et c’est ainsi qu’on doit trancher les affaires dans lesquelles sont impliquées des Juifs. Le Musulman devra donc jurer qu’il s’est acquitté envers le Juif et dès qu’il aura prêté serment, le droit du Juif tombera. »
(p. 186).
Vincent Lagardère,
Histoire et société en Occident musulman au Moyen Âge.
Analyse du Mi’yâr d’al-Wansarîsî, Madrid, Casa de Velazquez, 1995.
Moise Maimonide
Et vous, nos frères, vous savez que le saint, béni soit-il, nous a fait tomber dans les abîmes de nos fautes, au milieu de cette nation ismaélite [les fils d’Ismaël, les musulmans] qui a abattu sa méchanceté sur nous et intrigue pour nous faire du mal et pour nous détester […] ; il n’y a pas eu contre Israël de nation plus hostile qu’elle, ni de nation qui ait fait preuve de méchanceté systématique pour nous humilier, nous rapetisser et nous détester comme eux [les Ismaélites]. […] Nous subissons déjà leur assujettissement, leurs tromperies et leurs mensonges, plus que nous ne pouvons supporter, car l’homme n’a pas l’aptitude à avoir la force de souffrir. […] Il faut supporter les tromperies d’Ismaël et garder le silence devant eux […]. Malgré notre absence de réaction, nous ne pouvons pas échapper entièrement aux excès de leur méchanceté et de leur précipitation. Tandis que nous recherchons la paix avec eux, eux nous poursuivent par le glaive et la guerre.
Épître au Yémen, traduction Jean de Huister. Moise Maimonide, Epitres. Lagrasse, Verdier,1983
Maïmonide dans son épitre sur la persécution conseille à ses contemporains de prendre la route de l’exil. Lui-même quitta Cordoue pour vivre à Fès de 1159 à 1160-65 puis au Caire :
Nos oppresseurs eux-mêmes savent parfaitement que nous ne croyons pas à ces paroles qui ne sont prononcées que pour nous sauver du roi, pour l’apaiser par des paroles verbales.
« Le conseil que je me donne à moi-même et l’avis que je veux donner, à moi, à mes amis et à ceux qui me demandent un conseil, est qu’il faut quitter ces lieux et aller en un endroit où l‘on puisse pratiquer sa religion et appliquer la Tora sans contrainte ni peur; qu’on abandonne sa maison, ses fils et tout ce qu‘on possède, car la religion que Dieu nous a léguée a une valeur immense… »
Iggeret ha Shmad – Moïse Maïmonide, Epitres p. 38
Suite : reconquista
c’est cela le paradis sur terre – le fameux el andalous – vanté comme un paradis de tolérance – faut-il en rire