Sous les omeyades, le courant philosophique des mutazilites, favorisant la rationalité et le libre examen, a défendu la notion de coran créé, donc imparfait comme l’est toute créature et donc passible d’être complété par l’effort de réflexion (l’ijtihad). Ils cherchent à introduire la raison dans l’islam, en posant ces questions : Une chose est bonne parceque dieu l’a ordonné, ou dieu l’a-t-il ordonnée parce qu’elle est bonne ? autrement dit, Dieu est-il dans l’obligation de faire ce qui est le mieux pour les hommes ? le coran est-il eternel et inimitable ou créé ? l’anthropomorphisme de dieu est il une allégorie ? de même pour tous les événements surnaturels ? Si Dieu est bon, pourquoi existe-t-il des catastrophes, des épidémies ? l’homme a-t-il le libre arbitre de ses actes ?
Entre le VIII° et le X° siècle, l’assimilation de l’héritage grec alimente ces réflexions. Cela commence par Al Mansour en 772 puis en 832 le calife Abasside Al Mamum (813-833) crée la maison de la sagesse. Ainsi, provenant de Byzance, le poumon oriental de l’Europe, les ouvrages de Platon, Aristote, Hippocrate, Galien, Euclide, Ptolémée sont traduits en arabe par des chrétiens syriaques, nestoriens ou maronites (1), dont les noms sont Ibn-Ishaq, Ayyub al Abras, Théophile d’Edesse, Timothée I, Gabriel Bokhticho…
Pour combattre les hérésies, il crée également la Mihna, dirigée par un grand inquisiteur (appelé Sahih al Zanadiqa), d’où tortures et exécutions : Ibn Al Muqaffa (exécuté en 760), Ibn Abi-l-Awja (exécuté en 772), Salih B. Abd Al-Quddus (exécuté en 783), Hammad Ajrad (exécuté), Al Warraq (mort en exil en 909), Al Mutannabi (915-965) (mort en exil), AI Sarakhsi (exécuté en 899), Ibn Sina (avicenne) (980-1037) Ibn Bajja (mort empoisonné en 1138), ibn rushd (Averroès) (1126-1198) Kabid (exécuté en 1527)
Et le débat se clot avec Al ghazali (1058-1111) dont le livre Incohérence des Philosophes (1095) marque l’abandon de la raison et le retour à la vérité de la révélation du coran : « Ils [les philosophes] doivent impérativement être condamnés comme infidèles sur trois chefs. Tout d’abord, sur la question de l’éternité du monde, pour avoir affirmé que toute substance est éternelle. Ensuite, pour avoir déclaré que Dieu, dans sa connaissance, n’englobe pas les petits détails de la vie quotidienne. Enfin, pour avoir nié la résurrection des corps. » Un consensus voit le jour, et la doctrine se fige : les sciences naturelles sont jugées contraires aux lois de la religion, il ne faut pas chercher une interprétation allégorique aux versets du Coran pour lesquels il n’existe pas d’interprétation littérale satisfaisante, le littéralisme s’impose à la réflexion et la raison. Croire et accepter les conclusions des prophètes est un devoir et s’interroger sur la signification est une hérésie [2].
Enfin, le fait que la terre soit donnée par dieu en héritage à l’oumma n’encourage pas à la recherche ni au développement de techniques : il suffit de piller les mécréants (koufars). Ibn Khaldoum note que c’est un fait de constatation étrange que la majorité des porteurs de science (tant profane que religieuse) ait été constituée de non arabes, et L.A. de Prémare explique : ces gens faisaient généralement partie de ceux que l’on appelait les clients : anciens captifs ou descendants d’anciens captifs byzantins, persans, coptes, etc ayant souvent bénéficié de l’affranchissement par suite de leur conversion à l’islam.
Il est bon d’afficher par des comportements ou des modes vestimentaires son appartenance à l’oumma, la «communauté des soumis», et chacun se surveille dans la règle du consensus. Pour le musulman la démonstration publique de l’accomplissement de ses devoirs religieux est de rigueur, afin que tous sachent qu’il est un bon musulman, et de plus, il a devoir de surveiller voir d’interférer dans la vie des autres s’il estime que l’Islam est menacé ou outragé : il a une responsabilité communautaire (3 :110).
L’islam n’est pas monolithique, … c’est une question d’interprétation, … on nous dit qu’il y a l’islam radical et qu’il y a l’islam modéré, … En fait chaque musulman applique plus ou moins complètement toutes ou certaines des prescriptions du coran, et on peut donc dire qu’il est plus ou moins modéré, ou plus ou moins radical, mais le texte fondateur, définissant l’islam, est unique, il explique très clairement ceci : A la Mecque (en fait, on l’a vu, en Syrie), lorsque les fidèles de Mohamed n’étaient pas majoritaires, ils composaient avec le pouvoir, sans effaroucher le badeau, et prêchaient un islam dit modéré, proche des idées des nazaréens. Puis lorsqu’ils ont pris le pouvoir, à Médine, Mohamed s’est mis à prêcher la soumission de tous les kouffars et leur humiliation, voire leur éradication de toute la terre (9 :5, 9 :29), c’est à dire l’islam qu’on appelle radical. Mais, dans le coran, les versets correspondant à ces différentes périodes sont mélangés et indifférenciés. Le coran explique (2 :106, 16 :101) que les versets, révélés en dernier, en particulier les versets dits mecquois, abrogent les premiers versets contradictoires, révélés auparavant, et donc, la question qui se pose aux savants de l’islam, c’est de nous montrer, une fois que l’islam dit modéré de la Mecque a été abrogé, ce qui reste au coran si ce n’est les versets appliqués par les islamistes radicaux ? A quand, par soucis d’honnêteté, une publication du coran par ordre chronologique des sourates et sans les versets abrogés ?
En 2007 le président turc Erdogan affirmait : « L’expression ‘islam modéré’ est laide et offensante, il n’y a pas d’islam modéré. Il y a l’islam tout court, c’est l’islam du coran » puis à une réunion de l’OCI à Ankara en novembre 2017 : « Le brevet « d’islam modéré » appartient à l’Occident. Il n’y a pas d’Islam modéré ou immodéré; L’Islam est un. Le but de l’utilisation de tels termes est d’affaiblir l’Islam. »
Salah Abdeslam en prologue à son procès en 2020 affirmait : « la juge a parlé de terrorisme et de radicalisme. Ces termes créent la confusion. En réalité il ne s’agit que d’islam authentique. Ces gens-là sont des musulmans. »
[1] D’après la tradition, Omar ordonna la destruction de la grande bibliothèque du Caire après la conquête d’Alexandrie en 641. « Si les écrits des Grecs s’accordent avec le livre de Dieu, dit-il, ils sont inutiles et n’ont pas besoin d’être préservés. S’ils sont en désaccord, ils sont pernicieux et doivent être détruits. ». La bibliothèque de Syracuse est brulée en 878, celle de Turin en 911, la grande bibliothèque du monastère de Nalenda en Inde fut également brulée, en 1199. La bibliothèque Ahmed-Baba de Tombouctou a été en partie détruite en 2014. Voila la réalité du mythe de la sauvegarde des vieux auteurs , par ceux qui les ont détruits !
[2] En octobre 2016 les manuels scolaires ont été réédités au Maroc pour promouvoir un islam tolérant, . Au chapitre « Philosophie et foi » de « Manar at tarbia al islamiya », un ouvrage d’enseignement religieux destiné aux élèves de première, la philosophie est définie comme « une production de la pensée humaine contraire à l’islam » et « l’essence de la dégénérescence ». Comme quoi le mythe de la transmission des savoirs grecs n’est défendu que par les ignorants occidentaux.
Suite : les conquêtes turques
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